Son corps en sueur est poussé aux plus lointains extrêmes, son souffle discipliné porte ses jambes en fusion, ses muscles brûlants. Son épaisse barbe rousse est jetée en arrière, ses tresses et ses nattes dansent dans le vent.
Un fermier, anneau de son bœuf de traie à la main, transportant sur l'immense route les fruits de son dur labeur, aperçoit une silhouette, approchant à l'horizon.
Quelques secondes plus tard, son chapeau est projeté dans les airs par une puissante bourrasque, il ploie sous l'effet du violent coup de vent, son bœuf s'agitant et meuglant de peur.
Décoiffé, hébété, il regarde derrière lui... Le coureur l'a déjà distancé d'une centaine de mètres.
L'encre grise qui demeure sous sa peau lui offre ses dons, les répétant dans des cris bourrus, violents, impérieux :
« Vur ! Waz ! Ostön ! Sirurd ! Vur ! Waz ! Ostön ! Sirurd ! »
Cela fait trois jours qu'il court sans s'arrêter, à une vitesse atteignant les vingt lieues à l'heure, l'herbe se courbant sur son passage, le vent sifflant, portant dans son chant le hurlement rituel du messager des rois.
Au loin, il aperçoit la montagne, son pic abrupte s'envolant vers les cieux, une tentative avortée de relier le monde des dieux et celui des hommes, et ce avant même que lesdits hommes ne peuplent la terre. Un escalier bâti par les géants qui, dit-on, façonnèrent le monde avant de s'endormir dans ses entrailles.
Sa route touche à sa fin... Rassemblant ses forces, il entame une profonde mélopée.
Sa voix, d'abord imperceptible, s'élève toujours plus forte, défiant la colère du vent dont il a usurpé la célérité.
Une lueur ancestrale illumine bientôt ses tatouages bénis, la lumière gagnant en intensité, au même rythme que ses mots.
« … Sa monture se nommera Gleipinir... »
Le temps s'arrête, son flot pourtant inexorable ralenti au plus haut point. Un oiseau est figé dans son battement d'ailes, une goutte est figée dans sa chute, un loup est figé dans sa chasse, un lapin dans sa course.
Et un nain dans son envol.
Sa masse de muscles et de tendons se recroqueville, ses articulations se plient et ses chairs se raidissent... Préparant un bond vers l'ultime frontière : ...
Ses yeux se rouvrent, sa gueule béante se distord dans un hurlement sacré.
« Et lui-même chevauchera la tempête ! »
… Le ciel.
Dans une explosion de vent et de terre, laissant un long et fin cratère là où se tenaient ses pieds, dans une détonation assourdissante se répercutant dans les montagnes et jusque dans les oreilles des anges, au plus profond de la terre, et dans les plus lointaines contrées, le nain décolle.
Courant dans les cieux, courant sur le vent, courant sur la tempête comme le cheval divin, il avance dans le ciel gris, toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus vite.
Ses yeux s'embuent de larmes, fouettés par le vent qui lui interdit de s'élever si haut...
« Non, ce n'est pas ton royaume, nain ! » Lui hurle t-il dans son sifflement de serpent, tandis qu'il fend comme la flèche. « C'est celui des oiseaux, des anges, des dieux, et de mes fils. »
Les peintures ne lui répondent pas, armurées de leur épais et glacial silence, seul le nain parle. Seul le nain leur parle. Et au nain elles rétorquent:
« Cours, cours et élève-toi, car nous t'en donnons la force et le pouvoir. Nous sommes la Rune, et nous défions la nature. Nous sommes la Rune, et, froides comme la pierre, muettes comme la pierre, inexpugnables, invincibles et éternelles comme la pierre, nous sommes la roche de ta volonté, le granit de ton corps, et nous te bénissons, alors va, nain, va notre héritier et notre disciple. Car nous t'en donnons la force, à toi et à ton peuple. »
A ces mots muets, le nain fonce en avant, une nouvelle explosion qui déchire le vent et le propulse en avant... Il a désormais tout de la flèche, les bras croisés comme la pointe, devant son visage meurtris par la tempête qui le fouette et le pousse à renoncer, le corps étendu dans les cieux, droit et infaillible comme la hampe, fusant à travers les nuages... Il les traverse... Et continue de courir, dans le froid givrant, mais sous la douce caresse du soleil qui salue son exploit.
L'orage n'a plus de pouvoirs ici, seul le monarque céleste dirige et impose sa volonté. Il veut traverser les cieux ? Qu'il le fasse.
Lui qui a vu sa race naître et grandir, domptant le feu et l'eau, affrontant le vent, et se liant avec la terre... Il est heureux de le voir s'élever si haut.
Dans une brève accalmie, courant toujours à travers les cieux, sa courte impulsion maintenant terminée, il répète :
« Vur...Waz.. Ostön.. Silrgurd... Vur... Waz... Ostön... Silrgurd... »
Son pied s'arrête dans les cieux pendant un instant, il se replie sur lui-même, passant les bras autour de ses tibias, les jambes repliées contre le torse...
Il baisse les poings... Et les relève. Assourdissant tonnerre, il traverse à nouveau les nuages, tombant en piquée vers la montagne...
Alors qu'ils discutaient, les deux gardes en faction devant l'immense portail du Royaume des Mines entendent le hurlement sinistre d'un obus fonçant vers le sol.
Relevant la tête, ils aperçoivent une ombre, grossissant à vue d'oeil, tomber sur eux.
La stupéfaction les immobilise... Et ce n'est que par réflexes qu'il dressent leurs bras en barrière tandis que la masse défonce le sol devant eux, des mottes de terre fusant en gerbes tout autour.
Atterri, arrivé à destination, le nain se relève, essoufflé, extirpant une lettre de la sacoche qu'il porte à la ceinture... La lueur quitte ses yeux encore larmoyants, et les runes parcourant son corps.
« Coureur de la Tempête Volkhazz Dursom. J'ai un message pour votre roi. »
« Putain de surfaciers ! C'est démodé, les pigeons voyageurs ? »
« Non... C'est trop lent. »