J'ai jamais été bon pour trouver des titres ><'
Bref, voilà une petite nouvelle écrite pour un concours en thème libre. Le maximum était de 3 pages, donc j'ai bourré comme j'ai pu et ça a tenu.
J'avais pas le temps d'être très subtil, j'ai juste essayé de balancer un maximum de bon gros feels pour faire pleurer dans les chaumières du jury, on verra bien ce que ça donnera. Les résultats sont environ dans un million d'années (Juin, je crois), et je viendrai vous étaler ma gloire sur le visage avec mes tétons pour tout pinceau si je gagne ne serait-ce qu'une confirmation d'inscription.
En espérant que ça vous plaira!
Ballons
Les murs blancs de la salle d’attente reflétaient la lumière ténue du matin d’hiver, juste assez pour éclairer les dessins d’enfants accrochés çà et là. Ces derniers ne parvenaient cependant pas à colorer la pièce, et le blanc immaculé n’était contrebalancé que par les timides teintes pastel des portes. Même s’il trouvait l’endroit lugubre, Raphaël se fit la réflexion qu’il y était tout à fait à sa place : son costume était lui aussi blanc, seulement rehaussé de quelques pompons criards et de son nez. En lieu et place des dessins d’enfants, quelque main maladroite avait ponctué ses manches de discrètes tâches de peinture, petites reliques dont le souvenir ne partait pas au lavage. Lorsqu’il devait ainsi patienter, Raphaël avait toujours préféré dénombrer les couleurs sur ses avant-bras, nullement intéressé par les magazines étalés à côté de lui. Une salle d’attente, même dans un service de pédiatrie, restait décidément un monde d’adultes. L’infirmière qui ouvrit la porte, habituée à la présence matinale du clown, lui indiqua simplement la chambre du premier enfant de la journée à avoir achevé sa chimiothérapie. Saisissant sa besace, aussi immaculée que sa tunique, Raphaël se dirigea vers la porte 11. En marchant dans le couloir, il anticipa que Colin allait encore lui demander un chien. Ses compétences tout à fait limitées en pliage de ballon n’avaient nullement découragé le garçon de 9 ans, qui ne se lassait jamais de recevoir une approximative figure canine à chaque visite du clown. En revanche, dans un souci de renouvellement, il ne parvenait plus à se souvenir s’il avait déjà plaisanté avec lui à propos de leur commune alopécie. Il n’avait jamais trouvé de perruque à sa convenance, et avait fini par réaliser que la plupart des enfants considéraient ce mimétisme de bon aloi, le confortant dans sa figure de clown chauve.
C’est avec une bonne humeur renouvelée que Raphaël fut accueilli par son « petit pote ». Malgré son inébranlable enthousiasme, le traitement de Colin confinait généralement ses réactions à de pâles sourires lancés en direction du clown. Ce jour-là pourtant, l’ombre délétère de la maladie semblait avoir délaissé le numéro de Raphaël. Seules les rides tragiquement prématurées qui parcouraient le visage de l’enfant rappelaient sa présence, et disparaissaient dans ses fossettes lorsqu’il éclatait de rire. Dans cette perspective réconfortante, Raphaël ouvrit sa prestation sur un féroce solo de saxophone, qui acheva de réveiller son patient. Devant l’exceptionnel dynamisme de ce dernier, il enchaîna rapidement tours de magie, jonglage et sketchs d’improvisation. Ces derniers atteignirent leur paroxysme lorsqu’une infirmière le surprit mimant un zulu, une potence de perfusion pour toute sagaie. Une fois que Colin eût rit jusqu’à l’épuisement, ils s’installèrent tous deux dans l’embrasure de la fenêtre et contemplèrent plus calmement la rue en contrebas.
« Dis, t’as une voiture toi ?
-Hé, t’as vu mes pieds ? » Répondit spontanément Raphaël en désignant ses impressionnantes chaussures. « J’ai jamais trouvé de pédales assez grande, donc je ne conduis pas.
-Chuis sûr que c’est pas vrai ! Tous les grands ont des voitures, même toi !
-Ah bon ? Et j’ai l’air d’un grand comme les autres, moi ? Ils te fabriquent tous des chiens, les autres grands ? » Ce disant, il avait discrètement entrepris de gonfler un ballon dans son dos. Colin prit alors une mine plus sérieuse, à laquelle ses traits déjà âgés conféraient un caractère presque dramatique :
« Tu crois que j’aurai combien de ballons, encore ?
-Je t’en fais un à chaque fois que je passe, donc tu en auras autant que… » Le clown s’arrêta net lorsqu’il prit toute la mesure de la question de l’enfant. « Pourquoi tu te poses des questions comme ça toi ?
-Les docteurs, ils veulent jamais me répondre quand je leur demande combien de temps je vais rester. Pourtant, je ne leur demande pas quand je vais rentrer chez moi : j’ai bien fait attention de juste leur demander quand j’allais partir, comme ça ils avaient pas besoin de mentir en répondant. Mais ils veulent pas, alors toi je me suis dit que tu saurais peut-être… » Le discours de l’enfant, ingénument teinté d’un fatalisme effroyable, avait fait chanceler Raphaël, qui peina à maîtriser le tremblement dans sa voix :
« Non, mon petit pote, je ne sais pas. Je pense que personne ne sait, et qu’au fond ce n’est pas important. Tu ne crois pas qu’on devrait profiter de ce qui nous arrive tous les jours, sans se demander quand ça finira ?
-J’aime bien tes chiens, et je suis content de les avoir tous les jours. Mais avant que tu sois là, il y a la piqûre du matin, qui me rend encore plus malade toute la journée. C’est un peu mieux juste après, quand t’es là, mais après je suis tout seul, et j’ai mal, et j’aime pas vomir. C’est pour ça que je voulais savoir quand ça s’arrêtait, parce que j’en ai marre d’être malade tout le temps, et que mes médicaments me fassent mal au lieu de me guérir. »
Le clown peina à retenir le flot de larmes qui voulait répondre à Colin. Quand bien même il aurait trouvé quelque chose à dire, les mots se seraient éteints dans sa gorge nouée. Voir la mort dans les yeux d’un enfant était une chose à laquelle on ne s’habituait pas, et qui désarçonnait régulièrement Raphaël dans son activité. Il détourna le regard pour se concentrer sur son ballon, qu’il s’appliquait à plier aussi délicatement que possible. Une fois fini, le garçon s’en saisit avidement, dissipant un peu le nuage mortifère qui avait perdu leur conversation. Osant un pâle sourire, le clown ramena Colin jusqu’à son lit :
« Il faut que j’y aille. T’en fais pas mon petit pote, tout ira bien. On se voit demain. » Il fut presque soulagé en refermant la porte de la chambre derrière lui, et laissa échapper un sanglot muet. Ouvrant un petit miroir de poche, il repassa un peu de maquillage autour de ses yeux humides, reconnaissant de son statut de clown, qui lui permettait pareil camouflage. Il s’appliqua durant le reste de la journée à agir de façon aussi enjouée que possible auprès des autres enfants. Cependant, entre chaque chambre, la petite voix de Colin résonnait à nouveau en lui, et le faisait presque tressaillir. Il rentra chez lui en fin d’après-midi, mentalement épuisé par cette réminiscence constante. En se démaquillant, il s’aperçut que d’épaisses cernes avaient creusé ses orbites et rehaussaient l’éclat terne de ses yeux larmoyants. N’y tenant plus, il s’effondra sur son lavabo, laissant ses larmes achever de laver ses joues. Lorsqu’il se redressa, l’air grave, il ouvrit presque mécaniquement son armoire à pharmacie. Sans s’être encore changé, il en tira un flacon transparent, puis une épaisse seringue, qu’il jeta dans sa besace. Sortant de la salle de bains, il se glissa rapidement dans la pièce attenante, qu’il avait transformée en salle de développement. Dans la lumière rouge, il parvint tout juste à distinguer et à se saisir d’un antique appareil argentique, qu’il déposa de même dans son sac.
Il enleva ensuite finalement son costume, et ingurgita rapidement un sandwich au jambon avant d’aller dormir. Il désirait seulement se libérer, pour la nuit, de l’étau qui enserrait sa poitrine. Il voulait s’endormir à l’écart d’un monde qui condamnait ses enfants, qui volait leurs joues roses mais délaissait leurs cœurs ; enterrant leur innocence mais pas leurs rêves. Dans un sommeil agité, Raphaël voyait des dizaines de regard embués de mort tournés vers lui, scandant en chœur le fatalisme désespéré qui l’avait épouvanté. Il s’éveilla en nage à l’aube, parvenant à faire taire sa panique mais pas sa détresse. Mû par l’habitude, il se doucha, se maquilla puis s’habilla, se retrouvant comme chaque matin dans la salle d’attente décorée de l’hôpital. Cependant, Colin avait perdu son enthousiasme de la veille, et reposait à nouveau faiblement dans son lit, les yeux à demi clos. Les rideaux fermés laissaient tout juste filtrer un rai de lumière sur la descente de lit, et conféraient à la chambre l’aspect d’un funérarium.
« Hé bonhomme, j’ai oublié mes ballons aujourd’hui. Tu m’en veux pas trop ?
-Non, c’est pas grave » Lui marmonna l’enfant somnolent, se redressant sur son lit.
« Mais j’ai pensé à prendre un appareil photo ! Ce te dirait qu’on en prenne une tous les deux ? » Le garçon opina lentement du chef, en s’appliquant à ouvrir davantage ses yeux pour pouvoir regarder l’objectif. Allumant la lampe de chevet, Raphaël s’accroupit à côté de Colin, et s’efforça de sourire aussi honnêtement que possible en prenant la photo. Lorsqu’il se redressa, il se tourna vers la perfusion de Colin, et sortit le flacon qu’il avait préparé. Il préleva une pleine seringue de chlorure de potassium, qui injecta dans le tuyau de la chimiothérapie. Dans la pénombre, le clown comprit qu’il n’avait pas besoin de cacher ses larmes. Il se retourna à nouveau vers Colin et lui agrippa la main
« Salut, mon petit pote » parvint-il à murmurer entre ses pleurs étouffés. Il quitta la chambre la mort dans l’âme, et raccommoda une fois de plus son maquillage. Il passa à nouveau le reste de la journée à masquer son deuil auprès des autres enfants, évitant soigneusement de croiser le personnel erratique qui s’affairait dans la chambre 11.
Une fois rentré chez lui, il pénétra immédiatement dans sa chambre noire pour développer la seule photo de la pellicule. Lorsqu’il en sortit, il partit chercher sous son lit un album photo. Parcourant des pages et des pages, il colla finalement la photo de Colin au milieu de dizaines d’autres, reliques dont le souvenir ne partirait pas avec son maquillage.