Moriarty Membre fort
Messages : 175 Réputation : 6 Date d'inscription : 11/11/2016 Age : 88 Localisation : Flagstaff, Arizona
| Sujet: Re: The Pit [Shark-Arène] Dim 20 Nov - 17:50 | |
| Vualà, j'ai fini par parvenir à mes fins, soit finir par finir la fin de ma soumission à l'Arène Anarchie- I- Aube:
Ils étaient tous massés sous le pont, et semblaient, pour un œil inexpérimenté, ne former qu’une seule masse homogène. Pourtant, la soirée battait déjà son plein, et les groupes habituels s’étaient formés, presque imperceptiblement. Alignés le long du mur, ceux qui voulaient s’évader se passaient des sachets remplis de colle industrielle. Pendant ce temps, d’autres s’étaient massés autour de feux rudimentaires, au-dessus desquels ils agitaient les barres de fer qui leur tenaient lieu d’arme. D’autres enfin, près des piliers, allumaient des cigarettes en faisant l’inventaire de leurs bombes de peinture : chaque pouce du pont étant uniformément recouvert de plusieurs couches d’aérosol, la nécessité de s’approprier le reste des murs de la ville constituait leur préoccupation première. Mais tous les skins présents sous le pont cette nuit-là arboraient uniformément un nez cassé et des lacets blancs, et l’on pouvait raisonnablement supposer que tous étaient armés à un certain degré. Pourtant, malgré la cohésion dont ils faisaient indéniablement preuve, unis derrière une même idéologie raciale, une seule intervention allait suffire à causer une dissension qui ne se règlerait que de la seule manière qui avait court parmi les bones : la violence. Au milieu de cette scène somme toute assez routinière, une silhouette s’était hissée sur une caisse vide, souvenir d’un des rares larcins d’envergure de la communauté. Coutumiers des interventions inspirées de leurs lieutenants, les skins se tournèrent spontanément vers l’orateur qui les surplombait, pour réaliser qu’il ne s’agissait nullement de l’un des leurs. La perspective de punir une intrusion inopinée acheva de focaliser l’attention sur l’étranger, tandis que quelques-uns, restés en arrière, relevaient les drogués pour leur permettre de participer : la répression de cette provocation absurde s’annonçait sanglante. Alors que l’agressivité achevait de saturer l’atmosphère nocturne autour du pont, l’inconnu prit soudainement la parole : « Aujourd’hui comme tous les soirs, vous allez zoner autour de ce pont et cracher sur les voitures en espérant qu’un joggeur passe pour avoir votre dose de sang. Ceux d’entre vous qui s’approcheront le plus du centre de la ville iront tagger quelques ruelles, qui seront effacées dès demain par un employé de la mairie. Voilà ce que vous représentez aujourd’hui : une force mineure, qu’on tolère parce qu’elle ne fait pas trop de bruit et dont on évite juste de s’approcher. A quand remonte la dernière descente de police ici ? Six mois ? Un an ? Vous pensez que c’est parce qu’ils ont peur ? Ils vous foutent la paix parce que vous ne constituez qu’une vague nuisance. Ca fait des mois que je vous observe, et tout ce que j’ai vu c’est… Un potentiel gâché. Vous pourriez faire tellement plus, avec un peu de discipline. Ce n’est sûrement pas la cohésion qui vous manque, non, sur ce point vous pourriez même en apprendre à certaines milices. Mais vous voyez si petit… Vous vous mettez tous à l’écart, alors que vous avez le pouvoir d’enculer le monde ! Vous n’osez pas vous aventurer en ville, alors que vous pourriez vous l’approprier toute entière ! Vous haïssez les nègres, mais vous craignez les blancs qui les protègent, alors que vous êtes plus forts qu’eux. Mais j’ai un plan qui vous mettra en haut de la chaîne alimentaire. Si vous me suivez, on mettra cette ville à genoux ! Qu’est-ce que vous avez à perdre ? Depuis quand est-ce que vous avez peur de saigner ? Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le système à plat ? » Un silence de mort succéda à cette dernière injonction, et celui juché sur cette caisse venait sans aucun doute de signer son arrêt de mort. Pourtant, il ne cilla pas, et acheva son discours avec une posture résolue. Cette dernière impudence, l’ultime preuve que, qui qu’il soit, il ne craignait ni les skins ni leurs armes, fut déterminante. Au moindre signe de faiblesse, les bones l’auraient éventré. Mais il exhalait une assurance qui prêtait à la conviction sacrée. Bientôt, dans son auditoire, on s’interrogeait du regard, on jaugeait la réaction des autres avant d’exprimer la sienne. Une rumeur monta finalement du groupe à mesure que chacun parvenait à surpasser la surprise de cette intervention. La majorité des skins crièrent leur approbation, comme une réponse tardive à la dernière question du discours. Inévitablement, un groupe d’opposition contrecarra la liesse de leurs compagnons. Très vite, la masse s’était scindée en deux, et débattait avec animation. A dix contre soixante, les opposants redoublaient d’agitation pour faire entendre leur désaccord. Très vite, l’agressivité qu’avait catalysée l’inconnu se canalisa entre les skins. Le groupe majoritaire n’attendait qu’une étincelle pour se déchaîner sur les autres. Ces derniers, conscients malgré tout de leur infériorité, s’apprêtaient à faire face à une défaite certaine : ne jamais s’écraser, et encore moins face aux leurs. L’étranger surplombait toujours la scène, et évaluait la situation en silence. Il leva lentement les mains, comme pour palper la colère qui saturait l’air, et les claqua. L’écho du pont, qui faisait tendre la dispute à la cacophonie, répercuta le son sec et le porta à toutes les oreilles. Pour les skins bouillonnants, le signal était donné. La rapidité de la rixe qui s’ensuivit tenait lieu de record absolu, tant de par l’inégalité évidente que par la haine neuve mais puissante qui animait ces nouveaux ennemis. En moins d’une minute, les dissidents étaient à terre sans prisonnier ni fuyard. Les vainqueurs, après avoir dépouillé leurs victimes et balancé les corps comateux dans le petit bois à proximité, s’étaient à nouveau massés autour de leur nouveau dirigeant. Au matin, certains des vaincus seraient morts. Les moins blessés rentreraient chez eux et abandonneraient définitivement le pont. D’autres enfin, trop blessés pour se déplacer, agoniseraient pendant plusieurs jours jusqu’à mourir ou être découverts par des promeneurs qu’ils auraient en toute autre circonstances tabassés. Mais aucun des skins restants ne considérait le destin des blessés, qui faisait après tout partie des règles implicites qui avaient court parmi eux. En revanche, l’étranger qu’ils écoutaient désormais n’avait rien d’habituel, et tous attendaient patiemment la suite des évènements. L’inconnu ne se fit pas attendre et, à peine les derniers bones revenus du bois, prit la parole une seconde fois : « Ceux qui ont été éliminés aujourd’hui allaient être utiles, mais nullement indispensables. L’échauffement terminé, on va pouvoir commencer à agir. A partir de maintenant, vous pouvez m’appeler le Requin. Un de ceux qui bouffent leurs congénères. »
- II- Nuit:
Les punks avaient élu domicile sur une place isolée du centre-ville. A l’écart des grandes rues et de leurs enseignes, elle n’était accessible que par une succession de ruelles tortueuses, et donc réservée aux familiers de la ville. Mobile par essence, le choix du groupe s’était ce soir-là porté sur un endroit plus discret, pour éviter la répression policière qui avait coupé court aux soirées précédentes. Pour fêter leur tranquillité supposément retrouvée, une pipe à crack fraîchement assemblée circulait parmi eux, tous assis sur le rebord de la fontaine, l’unique structure de la place. Si les suprématistes blancs font preuve d’une surprenante unité, les punks affichent une variété dans leurs accoutrement dont l’imagination force le respect. Les gilets en jean déchirés succédaient aux vestes à patch, les crêtes criardes aux couvre-chefs variés… Tous avaient pour seul dénominateur commun un profond mépris des codes vestimentaires qui avaient court dans toutes les cultures dont ils étaient originaires. Là aussi, la diversité était de mise : des noirs du ghetto avoisinant, des asiatiques fugueurs, des moutons noirs de familles bourgeoises, des prolétaires déscolarisés… Partout où l’aliénation était possible naissaient des punks. Une caisse commune avait permis l’achat d’une sono antédiluvienne, qui hurlait des groupes britanniques au moins aussi vieux qu’elle. La qualité décrépie des enceintes, couplée à celle des cassettes –seul support qu’acceptait d’avaler le vénérable système– conférait toutefois à n’importe quelle musique un timbre accordé à l’ambiance générale. L’ensemble était alimenté par un amas disparate de batteries automobiles et de câbles douteux, et était réparti à chaque lever de soleil entre les différents squats, pour être réassemblé le soir venu en un nouveau lieu. Le principal risque d’une pareille installation était bien évidemment la confiscation en cas d’une descente de police. Pour pallier à une telle éventualité, les punks avaient acquis une rapidité exceptionnelle pour désassembler leur machinerie et fuir avec, tandis que d’autres sacrifiaient leur liberté d’un soir en retenant farouchement les forces de l’ordre. Aussi, quand un uniforme bleu émergea d’une ruelle, la musique cessa subitement et les punks se ruèrent à l’opposé de la place. Tous massés près d’une échappatoire quelconque, ils hurlaient des slogans variés, attendant la toute dernière minute pour disparaître dans la nuit. Pourtant, le policier qui venait d’arriver se révéla bien vite dans l’incapacité d’arrêter qui que ce soit. Les deux bras brisés en deux, il titubait en tentant douloureusement de limiter leur balancement. Son uniforme maculé de terre et de sang était brûlé sur tout le pectoral gauche, et révélait une peau rougie par les flammes et encore fumante. Malgré tout, son visage maintenait une intégrité relative, et seul un de ses yeux, presque entièrement rouge, était entouré d’un hématome gonflé. L’indignation somme toute habituelle des punks laissait place à une profonde stupeur : jamais l’un d’entre eux n’aurait fait ça, peu importe leur mépris de l’ordre et de ses représentants. Le bilan de leurs pugilats coutumiers avec la police se limitaient d’ordinaire à de nombreuses contusions, et ils finissaient en général plus amochés que leurs opposants ; ce qui par ailleurs les confortait dans leur rôle d’opprimés et non d’agresseurs. Mais l’état de l’agent qui leur faisait face n’avait rien de commun avec leurs querelles habituelles. Apercevant de son seul œil valide la troupe de marginaux qui lui faisait face, le policier trébucha sur les pavés de la place et tomba à genoux. Se deux bras désarticulés lui arrachèrent un cri de douleur, et il se crispa dans l’attente du tabassage qu’il s’attendait à recevoir. Les punks s’approchèrent avec circonspection, quand la radio miraculeusement intacte que l’agent portait se mit à grésiller : « Qu’un commissariat réponde, besoin de plus de monde sur la /…/ Où est l’unité d’intervention ? On tient plus ici /…/ Brûle, flic de merde ! Brûle ! » Les émissions simultanées prenaient le pas l’une sur l’autre, et formaient une cacophonie de rapports multiples du chaos qui avait court en ville : les skins du Requin avaient commencé par brûler les commissariats, prenant la police au dépourvu et réduisant drastiquement sa puissance de feu. Au même moment, d’autres remontaient les rues principales à bord de voitures volées et incendiaient chaque vitrine de magasin avec un stock de cocktails Molotov qui semblait inépuisable. Les patrouilles, prises en embuscade par des skins armés, se faisaient tailler en pièces les unes après les autres, et tous les agents encore en mesure de parler imploraient l’intervention de la gendarmerie. En entendant ces rapports, les punks réagirent sans se concerter : les bones étaient bien pires que la police, et ne devaient en aucune circonstance être laissés impunément dans leur rage meurtrière. Ceux qui disposaient déjà d’armes foncèrent vers le centre, tandis que les autres repartaient vers les usines squattées en périphérie pour ramener renforts et équipements. Un contingent d’une trentaine de punks pénétra dans le centre-ville saturé par la fumée. Les quartiers difficiles, volontairement épargnés par la folie des bones, vomissaient une multitude d’émeutiers qui pillaient chaque magasin dans le sillage des incendiaires et ralentissaient considérablement la police, si police il restait encore. Toutes les voitures de patrouille piégée par les skins avaient été encastrées dans un mur ou une vitrine, et les corps inertes de leurs occupants jonchaient le sol. Remontant la rue au pas de course, le groupe de punks arriva bien vite à l’entrée du centre commercial. Les voitures volées abandonnées devant, encore saturées de vapeurs d’essence, indiquaient qu’il s’agissait là de la destination finale des bones. S’engouffrant à travers les vitrines brisées, les punks se retrouvèrent bien vite face à un groupe bien mieux armé : là où la plupart d’entre eux disposaient uniquement de crans d’arrêt et de poings américains, les fascistes s’étaient bardés de protections pour la plupart issues du magasin de sport dont ils sortaient, et leur arsenal comprenait matraques volées aux policiers et battes cloutées. L’infériorité numérique des punks leur imposa un mouvement de recul, bien vite compensé par leur haine viscérale et le crack qui saturait leur sang. La mêlée qui s’ensuivit, bien que perdue d’avance, fut au moins sanglante. Les crânes des skins se brisaient sous les coups fébriles des punks hagards, et les bombers se paraient de plusieurs trous de lames. Mais très vite, les clous et les tonfas eurent raison de la transe artificielle de leurs cibles, et les punks s’effondrèrent à un rythme alarmant. Mais tandis que cette première vague était brisée par les skins, une clameur guerrière se fit entendre : depuis l’autre côté du centre commercial, le reste des punks fraîchement débarqué des squats se lançaient dans la mêlée. Parmi eux, l’éclat de manteaux oranges se démarquait : les antifascistes, habillés de bombers retournés, ne fonçaient pas seulement pour tabasser les skins : ils chargeaient avec la volonté de les réduire en poussière. Investis d’une mission de salubrité publique, leur équipement s’accordait à leurs vœux : chaînes de vélos, hachettes, rasoirs,… Pris en tenailles, les bones se défendaient farouchement : les cocktails Molotov restants s’abattaient sur le groupe qui s’approchait, et les coups redoublaient de puissance contre le premier contingent de punks, pour éviter d’être tout à fait encerclés une fois que les antifas arriveraient au contact. L’introduction d’armes blanches dans la mêlée conféra une teinte rouge au chaos, et ceux qui les maniaient finirent bien vite intégralement recouverts de sang à mesure qu’ils tranchaient. A la fin du combat, les skins à terre qui gesticulaient encore étaient achevés par les Docs vengeresses des antifas. Une trentaine de punks étaient également hors-combat, la plupart provenant du groupe d’origine. Dans la stupeur qui succédait à la rage, les vainqueurs réalisaient progressivement toute l’ironie de se battre pour défendre un centre commercial qu’ils conchiaient. Mais les rires euphoriques, renforcés par l’absurdité de ce constat, furent vite tempérés par un bone qui avait réussi à poignarder profondément la semelle censée lui briser la nuque : « Vous croyez que c’est fini bande de glands ? Mais vous savez même pas ce que font mes potes à cette heure-ci! Vous réalisez au moins que vous défendez un système sur lequel vous êtes les premiers à piss… » Sa fanfaronnade avait été interrompue par deux antifas. Le premier lui avait enfoncé un rasoir entre les dents, tandis que le second avait abattu une chaîne de vélo sur son tibia. Deux minutes plus tard, le skin se vidait de son sang, juste après avoir révélé la seconde partie du plan du Requin. Tandis que les sirènes d’un groupe d’intervention de la gendarmerie résonnaient enfin, les punks restants quittaient le centre commercial : la nuit était finie, mais il restait du ménage à faire.
- III- Aube:
Le Requin avait bien planifié son intervention : à défaut d’avoir un déroulement précisément millimétré, qui aurait de toute évidence été entravé par l’indiscipline des skins, l’attaque reposait sur une diversion d’une effrayante simplicité : la majorité des skins avait été envoyé en ville pour abattre les façades du pouvoir, tandis qu’un groupe plus restreint investissait les hauts-quartiers, pour abattre le pouvoir lui-même. A sa tête, le Requin paradait dans les allées paisibles du quartier bourgeois, et désignait personnellement les maisons à envahir. A présent, les punks suivaient le sillage des habitations incendiées ou ravagées. Sans signe de vie des occupants, le sort des familles qui y résidaient était tristement évident. Un fracas émanant d’une maison encore intacte attira l’attention de cette milice d’une nuit, qui s’y engouffra. En d’autres circonstances, s’introduire de nuit dans une villa de l’élite sociale aurait été l’occasion pour les punks de saccager le mobilier, et de recouvrir les murs de tags. Mais ce qui était en jeu cette nuit dépassait largement toute forme de provocation ou de vandalisme. Cette maison semblait pourtant relativement intacte, uniquement souillée par la peinture noire qui recouvrait presque intégralement les murs, et de la flaque d’eau qui couvrait la totalité du rez-de-chaussée. Après que les punks eurent fini de traverser l’entrée, dont l’atmosphère était saturée d’une insupportable odeur d’aérosol, ils débouchèrent dans un salon où les attendait un seul skin, assis sur un canapé de cuir lacéré. A ses pieds, un couple désarticulé baignait dans l’eau. Si le mari émettait encore à intervalles réguliers un gargouillis plaintif, le visage de la femme était entièrement plongé dans la flaque, ce qui ne laissait guère d’espoir quant à sa survie. Le bone solitaire avait mis à profit sa nuque pour poser ses rangers au-dessus du niveau de l’eau, infiniment fier de sa propre désinvolture. Alors que les punks se ruaient sur lui, il laissa négligemment tomber le briquet zippo qu’il venait d’allumer. L’odeur prenante des bombes de peinture avait empêché quiconque de faire la différence entre une canalisation éclatée dans l’action, et de l’essence répandue sciemment. En un souffle, la maison était devenue un brasier ardent. L’arrivée de gaz de la cuisine, elle aussi recouverte d’essence, ne tarda pas à fondre. L’explosion qui s’ensuivit acheva de carboniser tous les punks qui avaient eu la malchance d’entrer. Quelques torches humaines parvinrent néanmoins à s’extraire des flammes, et s’éparpillèrent dans les jardins environnant. Seule une dizaine d’hommes, qui n’avaient pas eu le temps de franchir la porte, furent épargnés par le piège. Des cris de rage se joignirent aux sirènes dans la nuit : la guerre était déjà déclarée, mais une haine très personnelle venait de s’ajouter à l’animosité de principe. En retournant à la rue, les punks se trouvèrent confrontés aux skins restants, venus réduire à néant la résistance. A dix contre dix, et pour la première fois de la nuit, l’issue du combat était incertaine. Les deux groupes chargèrent simultanément et se percutèrent violemment. Le Requin avait employé les bones les plus sobres dans sa garde d’élite, et la précision de leurs coups les rendait tout à fait meurtriers. Les armes contondantes visaient les articulations, tandis que les lames découpaient les artères avec une efficacité relevant de l’habitude. Au sein de la mêlée, Niko s’acharnait à briser l’occiput d’un skin à coups de poing américain. Il avait pris part à la première vague d’assaut du centre commercial, et s’en était miraculeusement sorti indemne. Dans cette seconde rixe, il avait reçu un coup de rasoir derrière le genou, sans pour autant qu’il ne sente ni ne voie quoi que ce soit : les flammes de l’explosion avaient voilé ses yeux et obscurci son esprit, et tout ce qui lui importait désormais était d’atteindre le Requin. Lorsqu’il laissa finalement tomber le bone qu’il venait de trépaner, il s’aperçut que le combat était achevé, et qu’il était le dernier debout. Son premier réflexe fut d’inspecter les corps de ses alliés, cherchant intensément un survivant au carnage. Mais le nom du Requin revint à son esprit : tout était fini, mais il ne devait pas s’échapper. Pas après tout ça. Se redressant, il avisa la seule maison aux lumières allumées, d’où semblaient avoir émergé les skins. Il pouvait tout aussi bien s’agir d’un autre guet-apens, mais c’était sa dernière opportunité de vengeance. Malgré le métal qui couvrait ses phalanges, celles-ci menaçaient d’exploser. Au moins deux doigts de son autre main s’étaient brisés sous les coups, et la pulsation de son sang le lui rappelait douloureusement à chaque battement. Il s’avançait dans les couloirs de l’immense bâtisse, prêtant attention à chaque son malgré ses oreilles bourdonnantes. Arrivant au salon, il ne trouva pas âme qui vive. Il progressait maintenant de pièces en pièces, s’attendant à chaque instant à découvrir un cadavre ou le Requin lui-même. La décoration du bâtiment était faite dans un style résolument moderne et épuré, omettant toute photo ou élément un tant soit peu personnel. C’était tout à fait comme si la maison n’avait d’autre caractéristique que d’être luxueuse, et elle constituait l’allégorie même de tout ce que Niko et ses compagnons rejetaient en bloc. Alors qu’il venait d’arriver dans la chambre, elle aussi dépourvue de tout effet personnel, un mouvement derrière lui le tira de ces considérations. Avant qu’il ne puisse se retourner, un tir de fusil balaya sa jambe valide, lui déchirant le mollet. S’effondrant au sol, Niko releva immédiatement la tête, l’esprit saturé par l’adrénaline : il devait faire face, il devait seulement voir le Requin. Les cheveux en bataille, il arborait de fines lunettes rectangulaires, auxquelles il manquait un verre. Une barbe de quelques jours commençait à couvrir ses joues, et une cigarette roulée était perchée sur ses lèvres. Il était habillé d’un pantalon de costume anthracite et d’une chemise gris clair à moitié déboutonnée. Le fusil de chasse dont il venait de faire usage, un modèle militaire résolument moderne, tenait en bandoulière autour de son torse. « Tu t’attendais à quoi ? Un monstre ? Tu voulais voir un rebut d’asile aux dents limées en pointe ? » Le sang de Niko se répandait sur le plancher clair de la chambre. Le Requin contourna précautionneusement la flaque et alla s’asseoir en tailleur sur le lit. Les deux hommes échangèrent un regard soutenu, où la détermination froide s’opposait à la confusion de Niko. Ses terminaisons nerveuses reprenaient leurs droits, et sa jambe commençait à le faire souffrir. « Je présume que tu voulais pas une confession en venant me chercher. Mais t’en fais pas, je mourrai en temps voulu comme tout le monde, toi y compris. Dans ma propre maison, c’est marrant hein ? Presque aussi marrant que le fait que ce soit un des leurs qui ait orchestré tout ce merdier… Mais bon, je vais pas me donner de grands airs révolutionnaires, la réalité est beaucoup plus égoïste. J’ai pas fait ça pour abattre l’establishment, ou pour lutter contre les inégalités, ou n’importe quelle autre connerie che guevaresque. Nan, tout ça c’était pour ma pomme, parce qu’il me fallait une conclusion un peu plus classe que trois cachets et une longue sieste. Et tu veux savoir le plus drôle ? Personne le saura jamais. Personne ne saura même que j’ai eu quoi que ce soit à voir avec tout ce bordel, grâce au zèle vengeur de vos agents orange personnels : plus aucun skin en état de vendre la mèche. Pour le reste du monde, je ne serai qu’un autre bobo victime de la folie nocturne d’une bande de skins. Ou de punks, pour ce que ça change. Enfin bref, tout ça pour dire que je me suis contenté de faire ce que les gens de mon espèce faisaient et feront encore longtemps après cette nuit : j’ai instrumentalisé des pauvres pour servir mes intérêts. Même si ça se résume à foutre une merde monstre et à regarder brûler cette ville et chacun de ses habitants. Je sais que tu comprends ça, toi. Si ce n’était pas le cas, tu ne passerais pas tes soirées à boire et crier comme tous les autres. Ce que vous avez plus de mal à saisir, c’est toute la futilité de ce bordel : tous ces cons de nazis m’ont suivi avec l’espoir qu’ils allaient servir à quelque chose, à foutre le monde en l’air. Mais on allait rien changer, et tout se remettra en place avec le temps. Ce qui importe vraiment, c’est l’acte même de remuer la merde. Le voilà, tout l’intérêt de l’anarchie que vous étalez partout sur les murs. Et devine quoi ? J’ai réussi. Je l’ai mis, le bordel. J’en ai fait plus que vous tous réunis n’avez fait depuis que vous avez décidé de déchirer vos fringues, et je l’ai fait en étant plus lucide que vous ne le serez jamais ! » A cette dernière exclamation, un gendarme en tenue d’intervention surgit dans l’embrasure de la porte. Son premier réflexe fut de viser le punk à terre, ce qui laissa tout juste le temps au Requin de lui délivrer une volée de plomb qui traversa son gilet pare-balles et l’envoya à terre. « Bon, fini de causer, notre sursis est écoulé ». Niko avait le sentiment de tout écouter à travers une épaisse couche de coton, et entendit à peine la grenade tomber sur le sol. Il eut le temps de lancer un dernier regard à l’instigateur des évènements, qui répliqua avec un sourire carnassier. Pour les forces de l’ordre, le reste de la matinée fut consacré à l’évaluation des dégâts : ainsi que le requin l’avait prédit, aucun des skins n’avait survécu, et il ne restait plus aucun témoin pour l’identifier. Certains punks miraculés se trouvaient parmi les civils, dans un état critique. Les médias dont les locaux n’avaient pas été incendiés dénonçaient déjà la guerre de gang qui avait déclenché l’émeute. L’occupant de la dernière maison à avoir explosé dans la nuit était la dernière victime de la série de meurtres qui avait eu lieu dans les hauts-quartiers, et allait être retenu ainsi dans la mémoire populaire. Sous le vieux pont à jamais dépeuplé de skinheads, le mur était désormais recouvert d’un stigmate aussi absurde que l’avait été toute la nuit elle-même : une fresque peinte avec négligence avait recouvert les croix gammées et les slogans suprématistes : un requin gris jaillissait de l’eau, attendant seulement de traverser le pont et d’engloutir les voitures qui y passaient.
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